48 bottes de paille pour l’île d’Yeu

Arrivée de la paille


« 48 bottes de paille pour l’île d’Yeu » : Merci à Michel Joly, Jean-Pierre Caillaux, Frédéric Signoret , Philippe Raffin et les autres!

Article écrit par Cristi Cohen pour le journal de la Confédération Paysanne
Après la sécheresse du printemps/été 2011, Emilie Sage, éleveuse de moutons sur l’île d’Yeu, s’est retrouvée en déficit de fourrage : << Nous avons récolté moins de la moitié de nos besoins pour nourrir les brebis cet hiver, 80 bottes au lieu de 170 nécessaires si l’on compte une botte par tête>>. En effet, la pluviométrie est encore moins abondante sur l’île que sur le continent et les conséquences de la sécheresse encore plus compliquées à surmonter du fait de l’insularité. « Grâce » à cette situation difficile, Emilie a découvert l’existence et bénéficié d’un réseau d’entraide et de l’action solidaire de l’Association Fourrage Vendée, crée en Août 2011, sur l’initiative de la Confédération paysanne.
Autrefois quasi autonome, l’île a connu une déprise agricole quasi totale.  Depuis un demi siècle les terres les plus fertiles ont été vendues, et autour du bâti qui a énormément progressé du fait du développement touristique, les jardins privés diminuent d’autant les surfaces qui pourraient être destinées à l’agriculture. Beaucoup de parcelles – parfois les meilleures – sont aujourd’hui boisées. Quant à la friche, elle est maintenant bien installée, ne rencontrant pas de limite dans les zones non bâties, le côté « naturel et sauvage » ayant été longtemps apprécié par beaucoup.  Le coût de la réhabilitation des terrains à défricher (pour le pâturage ou la culture) lorsqu’elle est envisageable s’en trouve accru. L’agriculture islaise doit composer avec les particuliers et le Département, assembler au mieux les morceaux épars du puzzle des parcelles, tout en respectant les réglementations de Natura 2000. Sans volonté politique locale et sans une prise de conscience de la population, le développement de l’activité agricole est impossible.  Son renouveau tout récent – quelques maraîchers et éleveurs s’étaient après guerre courageusement accrochés – se heurte ainsi au problème du foncier et à une incohérence de la gestion du territoire, notamment à un manque d’entretien des réseaux hydrauliques. Les « conditions d’accueil de la pluie » sont mauvaises et on n’arrive pas à « retenir l’eau qui va à la mer ». Les terrains trop mouillés l’hiver, voir inondés, faute de drainage et d’entretien des fossés, deviennent trop secs l’été et durs comme du ciment. Ainsi les prairies sont insuffisantes en nombre, en surface et les rendement faibles.  << Nous avons récolté environ 20t de foin sur 16,5 ha de praires fauchées. Ce qui donne un rendement plutôt faible. Certaines prairies, trop maigres, n’ont même pas pu être fauchées. >>, dit Emilie.
Les années précédentes, le foin de moindre qualité était utilisé en litière car il n’y a pas de paille sur l’île. Cette année, tout le foin a été gardé pour l’alimentation du troupeau. Dès Juin Emilie trouve du fourrage à acheter « en face » et fait l’avance de la trésorerie afin de le faucher.<< Mais cette année, à cause de la sécheresse, le foin était très cher (165 euros la tonne) et de qualité irrégulière. En Juillet, j’étais enceinte de cinq mois, je m’inquiétais pour les mois à venir, les agnelages de décembre, et je suis tombée sur une newsletter du GAB informant de l’action Solidarité Fourrage Vendée. J’ai hésité à les contacter, je n’y croyais pas, car pour nous insulaires, tout est plus compliqué, il y a la barrière de la mer. Et j’ai été super étonnée que l’Action Solidarité fourrage aille jusque là dans l’entraide! Les agriculteurs du continent ont dépensé beaucoup d’énergie et de temps pour m’aider et ont tout fait pour dépasser les contraintes imposées par mon insularité! >>.
En effet, si le bateau est gratuit pour passer le fourrage, (ce qui est essentiel pour nous insulaires), le transport se fait avec certaines conditions : 9 bottes maximum par passage et ces dernières doivent êtres rondes pour rentrer dans les containers. Les bottes de paille, envoyées du Loire et Cher dans le cadre de l’Action solidarité Fourrage étaient carrées. Il donc a fallu les échanger contre des balles rondes. C’est un éleveur de St Paul Mon Penit, en Vendée, qui a accepté d’échanger ses balles rondes contre des balles carrées. Ensuite il a fallu transporter la paille jusqu’à la côte et trouver un agriculteur qui veuille bien stocker les 48 bottes près de l’embarcadère car la gare maritime ne peut pas stocker le fourrage pour des raisons de sécurité en cas d’incendie. Frédérique Signoret, éleveur à la Barre de Mont, a ainsi accepté de faire des allers-retours entre la ferme de Philippe Raffin à Saint-Jean de Mont et Fromentine: 6 tours pour les apporter 9 par 9.  << Bref, ils ont imaginé et mis en œuvre toutes les solutions et la paille est arrivée à bon port entre Décembre et fin Janvier : 48 balles en tout et à prix raisonnable, puisque je les ai achetées  75 euros la tonne (on m’en avait proposé à 150/T). Evidemment, ce prix ne tient pas compte de ce qu’a coûté réellement aux agriculteurs cette solidarité, en temps, en gasoil, etc. Grâce à ce réseau paysan, et à ceux qui se sont décarcassés pour moi et mes brebis, je me suis sentie reconnue et soutenue. ça redonne du courage pour surmonter ces périodes difficiles.>>, dit Emilie>>.
Sur l’île aussi une Association, le Collectif Agricole, s’active pour soutenir et promouvoir une agriculture familiale de qualité. Cet été un Fonds de soutien aux agriculteurs, spécifiquement dédiés aux problèmes de sécheresse, a été lancé avec succès. Il faut financer des projets collectifs et/ou individuels afin de réhabiliter les réseaux hydrauliques, défricher, faire des réserves d’eau, etc. Il y a beaucoup à faire! En attendant, l’île d’Yeu  devra « importer » du fourrage du continent pendant encore de nombreuses années. La période de remise en route du potentiel fourrager de l’île risque d’être longue, compte tenu du travail à faire et des nombreux blocages et contraintes qui subsistent : défrichement, remises en culture, plan de gestion concerté de ZAP en projet dans le nouveau PLU, DOCOB, etc.
Emilie espère récolter 140 bottes cette année… si les conditions climatiques sont bonnes ! Mais de toute façon, il lui faudra compléter.  A terme c’est 10 ha de prairie à faucher en plus qu’il lui faudrait. Si l’île veut être autonome, il faut y travailler! D’autant qu’il y a  d’autres agriculteurs et de nouveaux porteurs de projets.
La solidarité paysanne de l’Association Solidarité Fourrage Vendée aura permis de livrer du fourrage  à ceux qui en avaient besoin, y compris à Emilie, sans considération des étiquettes syndicales, et à un bon prix. Mettre en échec les spéculations sur le prix du fourrage afin que les personnes en difficulté avec la sécheresse ne payent pas en plus le prix fort était leur objectif dans un contexte très spéculatif. L’association pense « quelle est faite pour durer. Nous répondrons à d’autres solidarités paysannes, si nécessaire>>, dit son Président Christian Drouin.

  1. anne-marie cattelain dit :

    C’est un très bel exemple de solidarité, à diffuser largement. Pourquoi pas dans la Gazette de l’île d’ailleurs.

  1. There are no trackbacks for this post yet.

Laisser un commentaire